Quête

 


En quête des châssis Jaguar XJR-14



L’origine de ma passion pour la Jaguar XJR-14 remonte à l'année de sa création. J'avais 12 ans en 1991. Lors des essais qualificatifs des 24 Heures du Mans, mon frère Xavier-Philippe, de 10 ans mon aîné, m'invita à regarder les plaquettes de freins en carbone monter au rouge au freinage des chicanes Ford. Il pris cette photo, qui immortalisa le souvenir de cette soirée.


Au mois de juin 1997, à la veille des épreuves du baccalauréat, je lus quelques bandes-dessinées pour me détendre. Notamment l'album de Michel Vaillant Une histoire de fou se déroulant aux 24 Heures du Mans 1992. Guillaume Lopez y avait signé trois dessins de la XJR-14, dont un de nuit, roulant plein phare. Il correspondait en plusieurs points à mon souvenir personnel. La nuit suivante, une image de la Jaguar me trotta dans la tête. Sous la pluie, au crépuscule, elle passait Mulsanne et s'enfonçait dans la forêt vers Indianapolis.


Après avoir obtenu mon diplôme, ma mère m'offrit une miniature 1/43e de la marque Starter, monté par Manou. Depuis six longues années, ce kit attendait sur les étagères de cet emblématique magasin du Mans.
Cette maquette connaitra par la suite une aventure rocambolesque (1).


Un copain de lycée, Eric Busson, partageait avec moi cet enthousiasme pour la XJR-14. Au moment des célèbres 24 Heures de 1999, au milieu de nos interminables discussions de fans de sport-protos, nous décidâmes de retrouver la trace des châssis Jaguar. Internet n'en était pas à ses débuts mais il fonctionnait encore avec des modems 56k et des abonnements à l'heure. Il était difficile de faire rapidement des recherches efficaces.
Aucune des superbes Silk Cut Jaguar XJR-14 ne semblaient figurer à l'inventaire des principaux musées européens.
Cette voiture n'avait-elle pas été surnommée Top Secret XJR-14 par le journaliste Christian Van Dryswyck ?

Nos points de départ étaient deux photos d’une XJR-14 blanche à Laguna Seca, le souvenir de la Mazda de 1992 et celui de la TWR Porsche de 1996-97.

Malheureusement, Eric disposait de deux informations éronnées : il pensait que les barquettes TWR Porsche gagnantes au Mans en 1996 et 1997 étaient des châssis en aluminium, alors que les XJR-14 étaient en carbone. Il pensait également que la version IMSA de la XJR-14 était en fait baptisée XJR-16 et qu’elle disposait d’un moteur turbo.

2000


A partir de là, nos premières investigations portèrent sur les châssis Mazda MXR-01. Lors des 24 Heures du Mans 2000, je partis à la recherche d’un mécano du team Oreca déjà présent dans cette structure en 1992, lorsque l’équipe de Hugues de Chaunac engageait les Mazda pour le compte de Mazdaspeed.
Le mécano qui me répondit était formel :
- Nous avons reçu du matériel neuf de chez TWR, il ne s’agissait pas des anciens châssis Jaguar.
- D'après vous, où sont les châssis MXR-01 aujourd’hui ?
- Ils sont tous au Japon… les 5 voitures construites !
Merci à ce sympathique mécano pour ces informations. Cinq Mazda MXR-01 avaient donc été montées par TWR en 1992. Et aucune n’était une Jaguar. Pourtant, du fait de cette paternité Jaguar du châssis MXR-01, les mécanos Oreca l'avaient baptisée entre eux la Mazguar.

Nous découvrîmes que la Jaguar XJR-16 n’était pas la XJR-14 GTP d'IMSA : la Jaguar XJR-14 américaine portait le même nom qu’en Europe.
Eric fit l'acquisition des livres annuels des 24 Heures du Mans 1996 & 1997. Ils nous permirent de constater que les Porsche WSC-95 avaient des châssis en carbone.


En 2001, Eric trouva une photo de face de la XJR-14 américaine à Laguna Seca. Il trouva aussi dans un vieux numéro d'Auto-Hebdo une photo de la Porsche aux essais de Daytona en janvier 1995. En observant de près les photos, on pouvait constater que les deux protos avaient le même trou à la base de l’essuie-glace, servant à l'origine pour l'aération du cockpit. C’était désormais presque une certitude : l’une des TWR Porsche WSC-95 était une ancienne XJR-14 Bud Light.

2002


Mais nous ne savions toujours pas si la Bud Light était une ancienne Silk Cut. Nous fûmes trompés par la liste des participants aux 500km de Monza de 1992, première épreuve du Championnat SWC, trouvée sur le site RacingSportsCars de Martin Krejci. Deux Jaguar XJR-14 avaient été pré-inscrites par le team R.M.Motorsport avec comme pilotes Bell-Bailey-Boesel. Si cet engagement été prévu pour mars 1992, cela aurait dû vouloir dire que les Bud Light d’IMSA étaient de nouveaux châssis.

Grâce au site SportscarUniverse de Laurent Duquesne, nous apprîmes que la Jaguar XJR-14 Bud Light de Davy Jones était propulsée par un moteur atmo et que, suite à la destruction d’un châssis à Lime Rock en mars 1992, TWR envoya d’Europe un nouveau châssis en une semaine. Pour qu’une telle rapidité soit possible, il fallait que la voiture soit déjà montée et réponde à la même réglementation. Il devenait évident qu’un ou deux châssis Bud Light étaient en fait des Silk Cut repeints !

Pour achever le tout, le livre Porsche in Motorsport de Peter Morgan nous apprit que la TWR Porsche WSC-95/001 présente aux essais de Daytona 1995 était "un châssis Jaguar XJR-14 roulant". C’était la confirmation qu’un châssis Bud Light avait été reconditionné en barquette.


Enfin, nous trouvâmes sur le site tchèque Jaguar Racing la photo de la Jaguar XJR-14 présente à Goodwood en 2000 et appartenant à Tom Walkinshaw. L’affaire était entendue. Walkinshaw avait fait repeindre à la hâte une XJR-14 Bud Light en version Silk Cut :
-le pare-soleil noir avait la même découpe qu'en IMSA en 1992, avec des lettres rouges,
-les vitres des phares étaient noires,
-il y avait encore et toujours la bouche d'aération du cockpit sous l’essuie-glace,
-le numéro 4 était détouré, sans fond blanc, comme cela avait été vu à Suzuka en avril 1991,
-les noms des pilotes Teo Fabi-David Brabham rappelaient le duo formé d'août à novembre 1991.
Pour qu'un tel bricolage mélant différentes époques ait été fait, c'est que les Silk Cut d'origine n'existaient plus.

Un grand effroi et une grande colère nous traversèrent. Trois châssis XJR-14 avaient été construits en 1991 (591-691-791) et malgré les titres de Champion du Monde des pilotes et des constructeurs, Jaguar n’en avait conservé aucun intact !

2003


Nous savions maintenant que sur les trois châssis XJR-14, un premier appartenait à Tom Walkinshaw, le deuxième avait été transformé en barquette Porsche et un troisième avait été quasiment détruit par Davy Jones en 1992. Un responsable du site officiel www.jaguarracing.com eut la gentillesse de m’envoyer la liste exacte de toute les épreuves disputées par chaque châssis, ce qui nous permis de reconstituer toute l’histoire des châssis. Nous étions alors en 2003 et mon site avait un an d'existence. Mais cette liste n'avait à priori rien d'officielle.

D'autre part, un article du magazine Motorsport, daté de juin 2000, allait plus loin que Peter Morgan. Le journaliste affirmait que la barquette WSC-95/001 était l'ancien châssis XJR-14/691. Il avait pu interviewer Tony Dowe, le directeur technique de TWR America, qui s'était chargé du projet WSC.

Au même moment, en 2003, la liquidation de TWR fut prononcée. Et les deux châssis restant furent restaurés. Si on me confirma que le premier châssis était le 591, mes informations sur le second étaient plus floues. Il s'agissait soit du 691, soit du 791. En tous les cas d'un châssis détruit et dont une nouvelle coque carbone avait été faite chez Astec. Ian Edwards me confirma aussi que le nouveau propriétaire avait reçu l'ancienne coque endommagée "comme preuve". On me parla de la livrée Nurburgring, ce qui confirmait qu'il s'agissait peut-être du châssis 791.

Leslie Thurston publia en 2003 un remarquable ouvrage TWR Jaguar Prototype Racers qui retracait toute l'histoire des Jaguar de l'épopée TWR. On me l'offrit en 2005 et j'y découvris une liste très détaillée de l'utilisation des châssis course par course, en WSC et en IMSA. J'eus donc la confirmation que c'était bien les 591 et 791 qui furent crashés par Davy Jones suite à l'explosion de ses jantes. Seul le châssis 691 était non-accidenté. Il fut donc transformé en barquette WSC-95. Tout était clair. Ma quête était terminée dans ses deux déclinaisons : je savais où se trouvaient les châssis XJR-14 et quelle avait été leur utilisation respective sur la piste.

2005


Mike Fuller et Bob Chapman rendirent visite au Highcroft Racing en 2005 et eurent la permission d'approcher le châssis 591, en maintenance chez l'équipe de Duncan Dayton. Ils purent la mitrailler de photos, avec et sans les élements de carroserie. Ils purent ainsi voir la réparation de la coque carbone au niveau de l'avant-gauche. Mike publia un long article technique sur son site Mulsanne Corner. Nous écrivimes tous les deux ce qui nous sautait aux yeux : la réparation de la coque en carbone du châssis 591 était cosmétique. Ce châssis pouvait rouler. Mais selon nous et plusieurs informateurs, atteindre des vitesses de compétition en piste était devenu impossible. Et ce malgré un test sur circuit pour valider la restauration de 2003. D'ailleurs, il n'était engagé dans aucune course historique.

2009


Le 12 décembre 2008, quelques jours avant noël, Tony Dowe me contacta directement par ce site, pour rétablir l'histoire ! Son mail était clair et commençait par la phrase suivante : "Ce qui suis est 100% vrai et correct". De la part du directeur technique du TWR Jaguar Racing, qui mena à bien la transformation de la dernière XJR-14 roulante en barquette Porsche, je crois que je pouvais lui faire confiance !

Selon lui, les châssis XJR-14 avaient été utilisés en IMSA '92 dans le même ordre qu'en 1991 : 591, 691, 791. Le 591 aurait donc été touché à Lime Rock, le 691 aurait été détruit à Road America et le 791 était roulant. Ce dernier est devenu la Porsche WSC-95 châssis 001. C'est donc le 691 qui aurait été "refait" en 2003 avec une toute nouvelle coque baptisée X91, ce qui en faisait de fait un nouveau châssis.


2010


Dans la matinée du 11 mars 2010, une nouvelle révélation tomba : une photo de Kenneth Barton trouvée sur flickr.com montrait la plaque de châssis de la voiture d'Arie Luyendyk à Laguna Seca (Juillet 1992). A ma demande, Kenneth me l'envoya en HD pour pouvoir lire ce qui était inscrit. Et là, surprise : il s'agissait du 591 sorti de l'usine en Mars 1991. Alors que cette voiture était censée s'être crashée à Lime Rock en mai 1992 selon Tony Dowe.


Lors d'une nouvelle discussion avec Mike Fuller, j'appris que le débat sur l'utilisation des châssis XJR-14 en 1992 n'était pas clos. Il y avait plus largement des doutes sur les jeux de plaque de châssis chez TWR. S'il est courant de changer les stickers sur les voitures "soeurs" pour leur donner l'apparence de la voiture gagnante et ceci afin de garnir les musées et les salons, il n'est pas pratiqué de démontage des plaques de châssis. En faisant cela, le but de TWR aurait été de gonfler le palmarès et donc la valeur marchande de certaines voitures n'ayant pas fait de résultat important. L'exemple le plus frappant était que la Silk Cut Jaguar XJR-12LM/1090. Gagnante au Mans en 1990, ce châssis était l'ancienne "Castrol" XJR-9D/288 gagnante à Daytona en 1988, reconvertie en XJR-12 pendant l'intersaison 1989-1990. Or aujourd'hui, deux voitures distinctes existent.

Chez Peugeot aussi, il y a des bizarreries. Le Châssis 905 EV17 a remporté Le Mans en 1992, puis a terminé 2e en 1993. Selon les jours, on voit une n°1 1992, puis une n°1 1993. Or il s'agit de la même coque... selon les registres. Est-ce juste une affaire de stickers ? Pas seulement. Selon mes informations, les Jaguar ont chacune la bonne plaque. Mais elles ne tiennent qu'avec quatre rivets pop...
Il y a de faux Van Gogh et il y a de fausses gagnantes.

Concernant les XJR-14, à ce stade, deux choses étaient sures à 100% : le châssis 591 était l'un des deux accidentés en 1992 et se trouvait en livrée Monza 1991 dans le showroom de Duncan Dayton. Et l'un des deux autres châssis, le 691 ou le 791, avait été reconditionné en Porsche WSC-95 double gagnante des 24 Heures du Mans.
Le châssis 691 étant devenu le 192 sur les enregistrements de l'IMSA, la plaque de châssis avait dû être changée.

24 Heures du Mans 2010. Après avoir obtenu les autographes de Jean Alesi et Nigel Mansell, je me décide à aller voir David Brabham au stand Highcroft Racing pour lui parler de la XJR-14. Malgré mon niveau d'anglais situé entre celui de Jacques Delors et de Jacques-Yves Cousteau, David Brabham me comprend. Il me sort de larges sourires à l'évocation de ce qui reste l'un de ses meilleurs souvenirs de course. Il me parle de la première fois qu'il a mis ses fesses dans le cockpit et qu'il a démarré. Il n'en croyait pas ses yeux. Il ne peut pas piloter la voiture présente dans le show room de son team dans le Connecticut. Il se souvient de ses victoires, dont celle de Sugo. J'ai également évoqué la présence de la XJR-14/X91 à Goodwood. David a pris son téléphone en rigolant, mimant le fait qu'il appelait immédiatement le propriétaire.

En juillet 2010, Ian Edwards me contacta de nouveau après son passage au Festival of Speed de Goodwood. Une Jaguar XJR-14 y était présente. Elle fut pilotée par Dean Lanzante qui dirigeait l'équipe de course chargée de la maintenance. Lanzante resta discret sur cette voiture et son propriétaire. Mais il confirma qu'elle était chez lui depuis 2004. Une nouvelle plaque de châssis avait été posée, indiquant châssis X91, August 1991. Cette plaque n'apparaissait pas en février 2010 lors de la présentation à la presse du festival. Elle avait donc été rajoutée entre temps.

Toujours en juillet 2010 : n-ième rebondissement. Il fallut croire que rien n'était jamais certain ou terminé concernant cette quête des châssis Jaguar. Sur le groupe Facebook dédié à la XJR-14, une discussion eut lieu avec Mike Fuller et Tony Dowe à propos de la photo du châssis d'Arie Luyendyk à Laguna Seca. Tony Dowe prétendit qu'en réalité il ne fallait pas se fier à cette plaque qui n'était pas fixée sur le châssis carbone. Selon lui, TWR aurait interverti des plaques pour éviter de payer une deuxième taxe d'importation aux USA pour le châssis 791. Ils auraient donc mis la plaque du 591, qui lui avait déjà fait le trajet. Mais le vrai châssis 591 était, selon Tony Dowe, revenu en Angleterre après son crash à Lime Rock.
Malheureusement, cette affirmation resta inverifiable, aucune autre source ne venant la confirmer. Venant d'une personnalité comme Tony Dowe, je fus obligé de prendre son information en compte. Une période d'incertitude s'ouvrit alors. A qui faire confiance ?

2011


Vingt ans après, il y a prescription ? Durant l'année 2011, mon enquête avança peu. Mais une bonne surprise m'attendait. Une personne souhaitant garder l'anonymat me contacta et m'envoya des photos d'espionnage industriel réalisé par Peugeot sur la grille de départ et la pit-lane de Suzuka en 1991. Etant donné la ressemblance et le pompage aéro de la 905 Evo1Bis apparue au mois d'août 1991 au Nurburgring, je m'en doutais un peu. André de Cortanze et Robert Choulet ne s'en étaient d'ailleurs pas cachés dans les colonnes de Sport-Auto : l'aileron arrière bi-plan et les radiateurs latéraux reprenaient le concept de la XJR-14.

Il est presque certain que Jaguar avait été mis au courant de cet espionnage car, dès la course de Monza, les XJR-14 étaient bâchées. Au Mans, lors du pesage des Jacobins, une petite altercation eut lieu entre mécanos et photographes. L'équipe TWR avait tenté de faire un blocus humain pour que personne n'aperçoive les tunnels de canalisation d'air sous la voiture. Vaine tentative ! Yannick Dalmas en personne tenta de s'accroupir pour observer l'extracteur arrière : il fut renvoyé dans son stand. Sur TF1, Christian Van Ryswyck qualifia alors la Jaguar de Top-Secret XJR-14.

Tout cela n'apportait rien à ma quête mais montrait que mon site me permettait d'accèder à des informations et des documents dont je n'aurais jamais osé rêver. Ne restait plus qu'à espèrer qu'un jour, un indice permettrait de résoudre le mystère de la XJR-14.

2012



Alors que je cherchais de nouvelles photos de la XJR-14 sur Google en 2012, je découvris que la société Retrac Composites Ltd avait dupliqué des éléments en carbone du châssis X91 pour faire un 5ème châssis XJR-14, potientiellement le 3ème capable de rouler après le 591 et le X91. Je le baptisai alors "Y91", n'ayant pas plus d'information.


Le 12 septembre 2012, je reçus un mail de la part du pilote Bob Berridge, agent de Gareth Evans.
A l'époque, j'avais écrit que la réparation du châssis 591 que Evans venait d'acheter à Aaron Hsu, était une réparation "cosmétique" et que ce châssis ne pouvait pas rouler à des vitesses de compétition.
J'avais écrit cela après une discussion par mail avec Tony Dowe. Pour me convaincre de retirer cette affirmation de mon site, Bob Berridge me montra un échange de mail avec Aaron Hsu : pour eux, la réparation faite en 1992 était suffisante et le test à l'ultra-son était bon.

Comme mon site n'avait pas pour but de créer des problèmes aux propriétaires des châssis XJR-14, j'acceptai de modifier ce que j'avais écrit. Mais tout en neutralisant cette phrase, je compris qu'il y avait tout de même un problème : pourquoi une petite phrase sur un site français fut si génante ? C'est que le Chamberlain Synergy Motorsport avait tout simplement identifié un loup en essayant de rouler avec son châssis 591. D'ailleurs, l'ACO avait annoncé dans un article daté de novembre 2011 que la XJR-14 tournerait au Mans en juin 2012. Or ce ne fut pas le cas.

Ce que j'avais écrit était donc exact : la réparation faite par TWR chez Aspec en 1992 ne fut pas la plus complète possible. Probablement confronté à des problèmes financiers, Tom Walkinshaw n'avait fait procéder qu'à une réparation à 1500 livres pour remonter la voiture. Alors que la restauration optimale pour un retour en piste coutait 3000. En 2012, ce passage au marbre était passé à 15.000 livres ! Comme la XJR-14/591 valait près de 2 millions de livres, le duo Evans-Berridge n'hésita pas longtemps avant d'entreprendre cette restauration. Une fois ce travail terminé, ils firent faire des tests de resistance de toutes sortes. Au final, leur châssis 591 était redevenu une bête de course. Mike Fuller signa un article détaillé sur cette restauration de la monocoque en fibre de carbone.

2013


Pour valider cette restauration et prouver la vélocité retrouvée de la Jaguar XJR-14/591 en piste, le Chamberlain Motorsport fit appel à Nicolas Minassian pour disputer la course de Silverstone Classic en juillet 2013. Le pilote français réalisa la pole et remporta la victoire, réalisant au passage des chronos proches des LMP1.



Entre temps, en janvier 2013, le magazine anglais Motorsport avait fait sa Une sur la XJR-14/591, avec des photos de studio magnifiques. Cela ressemblait tout de même étrangement à une campagne de communication/réhabilitation en vue de la vente du châssis.



Après la victoire de Minassian, je ne fus donc pas surpris de découvrir la XJR-14 au salon parisien Rétromobile en février 2014. Elle était en vente à plus de deux millions de livres sterling.

2014


Alors qu'il avait été simultanement propriétaire de toutes les XJR-14 encore existante, Aaron Hsu avait vendu non seulement le 591 à Gareth Evans en 2011, mais il venait de vendre en ce début d'année 2014 le X91 à un écossais souhaitant garder l'anonymat. L'agent de ce nouveau propriétaire avait missionné le journaliste anglais Allen Brown pour mener l'enquête sur l'origine de "ses" châssis. En effet, la fameuse coque détruite 791 accompagnait la vente du X91. J'appris en fait que le cinquième châssis découvert en 2012, que j'avais baptisé "Y91" et que je croyais être neuf, était en réalité le 791 ! A partir de la coque très endommagée du 791, la société Retrac Composites et le Lanzante Motorsports avaient réparé le coque carbone et ré-assemblé cette voiture. Malgré cela, elle n'était pas roulante à haute vitesse.

Dès lors que les deux XJR-14 étaient vendues, Dean Lanzante fut plus bavard. Il rapporta qu'Aaron Hsu avait acheté le châssis 791 en pensant que cette voiture, avec un palmarès de deux victoires, était roulante. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il reçut un châssis flambant neuf ! C'est donc de sa propre initiative qu'il refusa d'y poser la plaque 791 et fit baptisé ce châssis, neuf et sans palmarès, "X91".
Comme la vraie coque 791, malgré son état, avait un palmarès, il la fit restaurer par Retract et Lanzante.

Allen Brown prit contact avec moi et Mike Fuller. Du 20 au 25 mai 2014, nous nous lancames dans une véritable enquête de police, recoupant le moindre élément pour obtenir des certitudes. La question était : quels châssis se sont réélement crashés à Lime Rock et Road America en 1992 ? A deux reprises Davy Jones était sorti de la piste à cause de rupture de jantes. L'IMSA ayant imposé des lests à la XJR-14, les roues n'avaient pas supporté cette surcharge dans les courbes rapides.

Deux versions s'opposaient : celle de Leslie Thurston et celle de Tony Dowe. Thurston avait révélé dans son livre le trafic de plaques chez TWR. Il n'était pas particulièrement apprécié par les anciens de chez Jaguar. Selon lui, le châssis crashé à Lime Rock était le 791, celui de Road America étant le 591. Tone Dowe affirmait quant à lui que le châssis crashé à Lime Rock était le 591 et celui de Road America était le 691. La Porsche WSC-95/001 était donc selon Dowe le 791.
Durant toutes ces années, j'étais passé d'une version à l'autre. Il faut dire que les paroles de Tony Dowe étaient fortes.

Grâce à des photos des coques endommagées, à la photo de Chris Jensen à Lime Rock et celle de Road America trouvée dans le livre annuel de l'IMSA photo, nous pûmes rapidement avoir la certitude que la petite réparation sur le châssis 591 de Gareth Evans ne pouvait pas correspondre à l'éventrement du châssis de Lime Rock. Tandis que Mike apportait des photos inédites, qu'Allen entrait en contact avec une liste impressionnante de témoins de première main, je ne pouvais apporter que mes talents d'observateurs dus à des années de maquettisme. Des trous laissés par les rivets pop, des stickers TWR qui ne se trouvaient pas au même endroit sur les crashboxs avant et nous voilà avec la preuve que la version de Leslie Thurston était la bonne. Le châssis 591 avait roulé bien après le crash de Lime Rock et sa détérioration avait été mineure. Cela eu aussi pour conséquence qu'il fallait retirer une ligne de palmarès à ce châssis : la victoire de Road Atlanta était à attribuer au 791 et non au 591.

Informé par Allen de notre découverte, Bob Berridge et Gareth Evans eurent un comportement de parfait gentlemen : ils admirent nos conclusions mais elles ne les dérangeaient pas trop puisqu'elles montraient que le châssis n'avait été que faiblement endommagé à Road America. Et elles prouvaient aussi que le 591 était l'unique XJR-14 ayant un palmarès de course, encore capable de rouler à des vitesses de compétition. Car le 791, même s'il était assemblé, ne pouvait plus disputer de course.

Une seule ligne de palmarès pouvant augmenter le prix d'un châssis, il m'apparait aujourd'hui évident que TWR et ses relais ont tenté de minimiser le palmarès de la XJR-14 qui fut transformée en Porsche WSC-95. Car manque de chance : le chassis XJR-14 non-accidenté qui fut transformé en barquette était justement le 691, celui qui avait le plus gros palmarès : trois victoires dans trois championnats différents et le titre pilote de Téo Fabi.

Pour ma part, je suis sorti de cette enquête sur un sentiment mitigé : à la fois heureux d'y avoir participé, d'avoir trouvé les réponses à toutes les questions que je me posais sur la tracabilité des châssis. Mais j'ai également été attristé de constater une fois de plus que les sommes colossales d'argent en jeu laissent peu de place aux valeurs premières du sport-automobile : la passion, le sport et la chevalerie. Dans ce milieux, un fan, à travers son modeste site, devient soit génant, soit manipulable. Bienvenue dans le monde réel Néo. Suis le lapin blanc !



Remerciements - Thanks to



Je tiens tout particulièrement à remercier Ian Edwards qui m'a fourni un grand nombre d'informations et de photos lors de la restauration des deux XJR-14. Par la suite, Ian a repris contact avec moi dès qu'il avait une nouvelle information intéressante à partager. Un vrai symbole de l'amitié franco-anglaise !

Je remercie également Mike Fuller pour la création de la page facebook dédiée à la Jaguar XJR-14 qui a permis de mettre en contact des fans et des acteurs de la vie de la XJR-14. Mike a également partagé avec moi énormement de documents confidentiels, souvent non publiables. Sans lui, cette quête n'aurait jamais pu aller à son terme.

Merci également à Allen Brown pour la confiance qu'il m'a faite en m'associant à son enquête. Je ne pouvais espérer plus belle récompence pour ces années de passion.

Enfin, un grand merci aussi à mes amis de lycée Eric Busson et Frédéric Charles pour m'avoir sans cesse fourni des documents et des adresses de site ; et pour avoir partagé avec moi la passion pour ce prototype d'exception.



(1) Ayant acquis des XJR-14 Provence Moulage plus réalistes à mon goût que le kit Sarter, j'avais demandé à Patrick Lepage de vendre ce kit lors d'une bourse à Angers en 2004. Par un hasard incroyable, elle fût achetée par un ami d'Eric Busson, Eric Lambert, sarthois comme moi. Par la suite, il la vendit lui aussi, sur eBay, à un anglais, Martin Lamb. En 2017, suite au décès de ma mère, j'ai entrepris de retrouver et de racheter ce kit, qui était son cadeau pour mon bac. Grâce aux évaluations d'eBay, je pus retrouver l'acquéreur anglais. Après lui avoir raconté toute l'histoire, Martin accepta très gentiment un échange contre l'un de mes deux kits Provence Moulage. C'est ainsi que le kit Starter revint chez moi après près de 13 années de voyage.


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